Génie génétique

Le génie génétique est l'ensemble des outils permettant de modifier la constitution génétique d'un organisme en supprimant, en introduisant ou en remplaçant de l'ADN.

Celui-ci peut être introduit directement dans les cellules de l'organisme hôte ou dans des cellule cultivées ex vivo puis réintroduites dans l'organisme. Un prérequis au développement du génie génétique a été la mise au point de techniques recombinantes d'acide nucléique pour former de nouvelles combinaisons de matériel génétique héritable suivies de l'incorporation de ce matériel soit indirectement à travers un système vecteur ou directement par micro-injection, macro-injection ou micro-encapsulation.

Il a souvent pour but la modification des génotypes, et donc des phénotypes.

Le génie génétique est un champ très actif de la recherche car les applications possibles sont multiples, notamment en santé humaine (correction d’un gène porteur d’une mutation délétère, production de protéines thérapeutiques, élimination de séquences virales persistantes, etc.), en agriculture biotechnologique (mise au point de nouvelles générations de plantes génétiquement modifiées, etc.) ou encore pour la mise au point d’outils destinés à la recherche (par exemple pour explorer la fonction d’un gène).

À la suite du développement exponentiel du génie génétique, une nouvelle discipline est apparue dans les années 1960, la bioéthique, qui vise à sensibiliser les chercheurs, mais aussi les politiciens et le grand public, à la nécessité d'introduire systématiquement une dimension éthique dès la phase de recherches (principe de précaution).

Historique

Articles connexes : génétique et ADN.

Au début du XXe, la redécouverte des travaux de Mendel (1822-1888) et les travaux de Morgan (1866-1945) sur la mouche drosophile permettent de comprendre que l'hérédité est due à la transmission de particules appelés gènes, disposés de manière linéaire sur les chromosomes. Dans les années 1950, est mise en évidence la nature chimique des gènes, ainsi que la structure moléculaire de l'ADN. En 1965, découverte des enzymes de restriction confirmée en 1973 par Paul Berg et ses collaborateurs[1]. Ces protéines capables de découper et recoller précisément l’ADN, donnent aux chercheurs les outils qui leur manquaient pour établir une cartographie du génome. Elle ouvre aussi la voie à la transgénèse, qui permet d'intervenir in vitro sur des portions d'ADN et donc des gènes. La technologie de l'ADN recombinant permet l'insertion d'une portion d'ADN (un ou plusieurs gènes) dans un autre ADN[2].

Chez certains organismes, les technologies mises au point pour introduire un gène dans la cellule vivante restent cependant limitées par le caractère aléatoire de l’insertion de la nouvelle séquence dans le génome. Positionné aléatoirement, le nouveau gène peut inactiver ou perturber le fonctionnement de gènes tiers, ou même être à l’origine d’effets indésirables graves comme le déclenchement d’un processus de cancérisation. Les technologies d'insertion non ciblées ne permettent pas d’obtenir de reproductibilité de l’expérience : il n’y a pas de garantie que la nouvelle séquence soit insérée toujours au même endroit.

Depuis la fin des années 1990, une nouvelle génération de technologies, capitalise sur des connaissances et des technologies plus récentes, comme les nucléases programmables (ZNFs, TALENs et CRISPR). Elles permettent d’intervenir sur une zone spécifique de l’ADN afin d’accroître la précision de la correction ou de l’insertion pratiquée, de prévenir ainsi les toxicités cellulaires et d’offrir une reproductibilité fiable de l'intervention.

Ces nouvelles technologies d'ingénierie génomique, avec la génomique synthétique (conception de génomes artificiels), figurent actuellement parmi les technologies les plus prometteuses en termes de recherche biologique appliquée et d’innovation industrielle.

Production d’organismes génétiquement modifiés

Article détaillé : organisme génétiquement modifié.

La production d’OGM permet d’introduire dans le génome d’un être vivant de nouveaux gènes, par insertion de portions d’ADN, ou de suprimer ou modifier certains gènes présents. Ces modifications font appel à divers outils du génie génétique, notamment la transgénèse et plus récemment des nucléases programmables (plus particulièrement l'outil CRISPR).

Génie génétique appliqué à l'Homme

Articles détaillés : thérapie génique et analyse génétique.

Le génie génétique constitue l'une des principales avancées scientifiques du XXe siècle. Il présente en effet un fort potentiel de développement. Toutefois, les possibilités d'application qu'il offre dans la recherche biomédicale suscitent autant de craintes que d'espoirs. Raison pour laquelle une nouvelle discipline est apparue dans les années 1960, la bioéthique, qui vise à sensibiliser les chercheurs, mais aussi les politiciens et le grand public, à la nécessité d'introduire systématiquement une dimension éthique dès la phase des recherches.

Outils du génie génétique

La transgénèse

Article détaillé : Transgénèse.

La transgénèse consiste à introduire un ADN exogène dans le génome d'un organisme soit au moyen d'un virus ou d'une bactérie soit par introduction de l'ADN par des méthodes physico-chimiques (électroporation, transfection ou micro-injection). La première souris transgénique a été créée par le biologiste Rudolf Jaenisch en 1974[3]. Les premières plantes transgéniques sont crées en 1984 en utilisant Agrobacterium tumefaciens comme vecteur d'ADN exogène[4],[5]. Une limitation importante des approches de transgenèse est que le matériel génétique exogène est inséré de façon aléatoire. L'insertion, lorsqu'elle a lieu à proximité d'un gène endogène peut entrainer un défaut d'expression de ce dernier.

La recombinaison homologue

A la différence de la transgenèse, les approches de recombinaison homologue permettent d'introduire, d'enlever ou de remplacer du matériel génétique, et ce de façon très précise. Ces approches reposent sur un mécanisme naturellement présent au sein des cellules permettant de réparer un ADN endommagé en utilisant comme modèle une séquence homologue située sur un autre brin.

Il est possible d’induire des recombinaisons homologues entre l’ADN naturel d’une cellule et d'un ADN exogène introduit par les chercheurs, en utilisant comme vecteur le génome modifié d’un rétrovirus par exemple. Le phénomène de recombinaison est suffisamment souple pour qu’il soit possible d'introduire un certain niveau de changement (ajout, suppression ou modification d’une portion d’ADN) au niveau de la zone d’homologie visée.

Dès les années 1980, Mario R. Capecchi et Oliver Smithies ont travaillé sur la recombinaison homologue de l'ADN comme outil de « ciblage de gène », c’est-à-dire comme instrument d’inactivation ou de modification de gènes précis. Avec la collaboration de Martin J. Evans, ils ont mis au point un procédé permettant de modifier le génome de souris en modifiant l’ADN de cellules souches embryonnaires murines en culture, et en injectant ces cellules souches modifiées dans des embryons de souris. Les souris génétiquement modifiées ainsi générées permettent d’étudier des maladies humaines en laboratoire. C’est aujourd'hui un outil couramment utilisé en recherche médicale. Les travaux des trois chercheurs leur ont valu le Prix Nobel de physiologie ou médecine en 2007[6].

Les nucléases programmables

Une limitation importante de l'approche de modification génétique par recombinaison homologue est sa très faible activité spontanée, hormis chez la levure et dans les cellules souches embryonnaires de souris qui font figure d'exception. Ceci a fortement limité son application à d'autre organismes. Or au milieu des années 1990, les équipes de Maria Jasin et Jean-François Nicolas démontrent qu'une cassure double-brin de l'ADN de cellules mammifères stimule très fortement la recombinaison homologue (qui est utilisée par la cellule afin de réparer la cassure)[7],[8]. En outre, l'analyse des séquences d'ADN après réparation met en évidence l'action d'une seconde voie de réparation d'ADN, appelée jonction d'extrémités non homologues, qui conduit à la délétion ou à l'insertion de petites séquences d'ADN (typiquement de 1 à 20 nucléotides de long). Ces observations ont donc conduit les chercheurs à développer des nucléases (enzymes coupant l'ADN) dont la séquence d'ADN cible peut être programmée.

Les enzymes de restriction couramment utilisées en biologie moléculaire pour couper l’ADN interagissent avec des séquences constituées de 1 à 10 nucléotides. Ces séquences, très courtes et souvent palindromiques, sont généralement présentes à plusieurs endroits du génome (le génome humain comprend 6,4 milliards de bases). Les enzymes de restriction sont donc susceptibles de couper la molécule d’ADN à de multiples reprises.

Pour pratiquer une chirurgie des génomes précise et sûre, les scientifiques se sont donc tournés vers des outils plus précis. L’ingénierie ciblée des génomes est rendue possible par l’utilisation d’enzymes capables de reconnaître et d’interagir avec des séquences d’ADN suffisamment longues pour n’exister, en toute probabilité, qu’en un exemplaire unique dans un génome donné. L’intervention sur l’ADN se produit alors précisément au niveau de la séquence ciblée. Avec des sites de reconnaissance de plus de 12 paires de bases, les méganucléases, les nucléases à doigts de zinc, les TALENs et les systèmes CRISPR répondent à ces critères de spécificité.

Une fois la coupure de l’ADN effectuée, les mécanismes naturels de réparation de l’ADN et la recombinaison homologue permettent d’incorporer une séquence modifiée ou un gène nouveau.

Le succès de ces différentes étapes (reconnaissance, coupure, recombinaison) dépend de divers facteurs, parmi lesquels l’efficacité du vecteur qui introduit l’enzyme dans la cellule, l’activité enzymatique de coupure, les capacités cellulaires de recombinaison homologue et probablement l’état de la chromatine au locus considéré.

Les méganucléases

Article détaillé : méganucléase.

Découvertes à la fin des années 1980, les méganucléases sont des enzymes de la famille des endonucléases qui présentent la caractéristique de reconnaître des séquences d’ADN de grande taille, de 12 à 40 paires de bases[9]. Parmi ces méganucléases, les protéines du groupe LAGLIDADG, qui doivent leur nom à une séquence d’acides aminés conservée, sont les plus nombreuses et les mieux connues.

Ces enzymes ont été identifiées dès les années 1990 comme des outils prometteurs pour l’ingénierie des génomes. Néanmoins, malgré leur diversité dans la nature, et même si chacune d’elles peut présenter de petites variations de son site de reconnaissance de l’ADN, il existe trop peu de chances de trouver la méganucléase adaptée à l’intervention sur une séquence d’ADN bien déterminée. Chaque nouvelle cible d’ingénierie génomique nécessite ainsi une première phase d’ingénierie protéique afin de produire une méganucléase sur mesure.

Les nucléases à doigts de zinc

Article détaillé : nucléase à doigt de zinc.

Les nucléases à doigt de zinc sont des enzymes de restrictions synthétiques créées en fusionnant des domaines à doigt de zinc avec des domaines de coupure de l'ADN. La combinaison de 6 à 8 doigts de zinc dont les domaines de reconnaissance ont été caractérisés, il est possible d’obtenir des protéines spécifiques de séquences d’une vingtaine de paires de bases. On peut ainsi contrôler l’expression d’un gène spécifique. Il a été montré que cette stratégie permet de promouvoir un processus d’angiogenèse chez l’animal[10]. Il est également possible de fusionner la protéine ainsi construite avec le domaine catalytique d’une endonucléase afin de provoquer une cassure ciblée de l’ADN et d’utiliser ces protéines comme outils d’ingénierie des génomes[11].

Les nucléases à doigts de zinc sont des outils de recherche et développement qui ont déjà été utilisés pour modifier des génomes variés, notamment par les laboratoires fédérés dans le Zinc Finger Consortium. L’entreprise américaine Sangamo Biosciences utilise les nucléases à doigts de zinc pour des travaux sur l’ingénierie génétique des cellules souches et la modification de cellules immunitaires à des fins thérapeutiques[12],[13]. Des lymphocytes T modifiés font actuellement l’objet d’essais cliniques de phase I, portant sur le traitement d’un cancer du cerveau (le glioblastome) et la lutte contre le SIDA[14].

Les TALENs

Article détaillé : Transcription activator-like effector nuclease.

Les TALENs sont des enzymes de restriction artificielles générées par fusion d'un domaine de liaison à l'ADN appelé TALE et d'un domaine ayant la capacité de cliver l'ADN.

Le domaine TALE de liaison à l'ADN est constitué de répétitions de 33 ou 34 acides aminés identiques à l'exception des acides aminés 12 et 13. Ces deux derniers résidus confèrent à un module la capacité de reconnaître une base de l'ADN selon un code très simple[15],[16]. En assemblant ces modules dans l'ordre souhaité, il est très aisé de générer une protéine qui reconnaîtra une séquence spécifique du génome. La fusion de ce domaine TALE avec un domaine de clivage de l'ADN permet d'induire très facilement des cassures double brin sur un gène souhaité.

La rapidité pour la construction de telles enzymes et leur bas coût en font des outils excellents pour réaliser de l'ingénierie des génomes.

Notes et références

  1. Encyclopédie Universalis, v. 11, 2005, article Organismes génétiquement modifiés - repères chronologiques
  2. CIRAD Dossier ogm
  3. R. Jaenisch et B. Mintz, « Simian virus 40 DNA sequences in DNA of healthy adult mice derived from preimplantation blastocysts injected with viral DNA », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 71, no 4, , p. 1250–1254 (ISSN 0027-8424, PMID 4364530, PMCID PMC388203, DOI 10.1073/pnas.71.4.1250, lire en ligne, consulté le 25 août 2019)
  4. M. De Block, L. Herrera-Estrella, M. Van Montagu et J. Schell, « Expression of foreign genes in regenerated plants and in their progeny », The EMBO journal, vol. 3, no 8, , p. 1681–1689 (ISSN 0261-4189, PMID 16453538, PMCID PMC557582, lire en ligne, consulté le 25 août 2019)
  5. R. B. Horsch, R. T. Fraley, S. G. Rogers et P. R. Sanders, « Inheritance of functional foreign genes in plants », Science (New York, N.Y.), vol. 223, no 4635, , p. 496–498 (ISSN 0036-8075, PMID 17781445, DOI 10.1126/science.223.4635.496, lire en ligne, consulté le 25 août 2019)
  6. The Nobel Prize in Physiology or Medicine 2007
  7. P. Rouet, F. Smih et M. Jasin, « Expression of a site-specific endonuclease stimulates homologous recombination in mammalian cells », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 91, no 13, , p. 6064–6068 (ISSN 0027-8424, PMID 8016116, PMCID PMC44138, DOI 10.1073/pnas.91.13.6064, lire en ligne, consulté le 25 août 2019)
  8. A. Choulika, A. Perrin, B. Dujon et J. F. Nicolas, « Induction of homologous recombination in mammalian chromosomes by using the I-SceI system of Saccharomyces cerevisiae », Molecular and Cellular Biology, vol. 15, no 4, , p. 1968–1973 (ISSN 0270-7306, PMID 7891691, PMCID PMC230423, DOI 10.1128/mcb.15.4.1968, lire en ligne, consulté le 25 août 2019)
  9. Stoddard BL (2006). Homing endonuclease structure and function. Quartely Reviews in Biophysics; 38(1): 49-95.
  10. Rebar EJ, Huang Y, Hickey R, Nath AK, Meoli D, Nath S, Chen B, Xu L, Liang Y, Jamieson AC, Zhang L, Spratt SK, Case CC, Wolfe A, Giordano FJ, « Induction of angiogenesis in a mouse model using engineering transcription factors », Nature Medicine, n° 8, pp. 1427-1432, 2002.
  11. H-G, Cha J, Chandrasegaran, « Hybrid restriction enzymes : Zinc finger fusions to Fok I cleavage domain », Proceedings of National Academy of Sciences of the United States of America, n° 93, pp. 1156-1160, 2007.
  12. Reik A et al (2008). Zinc finger nucleases targeting the glucocorticoid receptor allow IL-13 zetakine transgenic CTLs to kill glioblastoma cells in vivo in the presence of immunosuppressing glucocorticoids. Mol. Ther.; 16:S13-S14..
  13. Holt N et al (2010). Human hematopoitic stem/progenitor cells modified by zinc-finger nucleases targeted to CCR5 control HIV-1 in vivo. Nature Biotech.; 28:839-847.
  14. Fyodor D. Urnov, Edward J. Rebar, Michael C. Holmes, H. Steve Zhang et Philip D. Gregory, « Genome editing with engineered zinc finger nucleases », Nature Reviews, vol. 11, pp. 636-646, 2010. PMID 20717154
  15. Jens Boch, « Breaking the Code of DNA Binding Specificity of TAL-Type III Effectors », Science, vol. 326, no 5959, , p. 1509–12 (PMID 19933107, DOI 10.1126/science.1178811, Bibcode 2009Sci...326.1509B)
  16. Matthew J. Moscou, « A Simple Cipher Governs DNA Recognition by TAL Effectors », Science, vol. 326, no 5959, , p. 1501 (PMID 19933106, DOI 10.1126/science.1178817, Bibcode 2009Sci...326.1501M)

Voir aussi


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